Sunday, October 22, 2017

Non, monsieur Arfi, l'opération Harmattan n'a pas été déclenchée sur un mensonge

Dans leur livre « Avec les compliments du Guide » paru aux Edition Fayard, Fabrice Arfi et Karl Laske – journalistes de Médiapart – tentent d’exposer les relations ambiguës entre Nicolas Sarkozy et la Libye de Mouammar Kadhafi. Je ne commenterai pas le dossier financement de campagne pour lequel je n’ai pas d’éléments pour contredire ou confirmer leurs déclarations. Je vais par contre évoquer la campagne militaire en Libye de 2011 et le prétendu postulat du « mensonge » sur les motifs de cette guerre.



A la page 252, Messieurs Arfi et Laske affirment que l’information publiée dans la presse sur le fait que « Kadhafi ait envoyé son aviation bombarder sa propre population le 21 février 2011 » est une scène qui ne repose sur aucune preuve « pour la simple et bonne raison qu’elle n’a jamais existé ». Pour cela, ils prennent uniquement en compte les témoignages devant le Congrès de Robert Gates - ministre de la Défense –, ainsi que celui du général Mike Mullen qui précisent tous deux n’avoir eu aucune confirmation de quoi que ce soit. Il est également fait référence au rapport du parlement britannique, un rapport très controversé de part ses sources comme le précise Patrick Kingsley du NYT. A cela, ils ajoutent le fait qu’il n’y a pas d’images pour le prouver, reprenant ainsi une grande partie du billet du philosophe Tzvetan Todorov. A la page 255, ils comparent le « grand mensonge » supposé de la France en 2011 à celui des Etats-Unis en Iraq en 2003.

Malgré leurs six années de travail sur le sujet, les auteurs ont omis de prendre en compte plusieurs élément importants qui contredisent leurs dires … Ce même 21 février 2011 évoqué par Messieurs Arfi et Laske, deux Mirage F1 armés de roquettes et pilotés par les colonels libyens Ali Alrabty et Abdullah al-Salheen se posent sur l'aéroport de Malte. Ces pilotes affirment avoir refusé de bombarder les manifestants et décidé de se poser sur l’île. Ils avaient dans un premier temps décollé de la base d’Okba Ben Nafi près de Tripoli. Refusant d’exécuter cet ordre, ils ont alors pris la direction de Malte et ont volé à basse altitude afin d’échappé aux radars. D’autres pilotes libyens n’ont pas eu la même clairvoyance …
Col. Abdullah al-Salheen et Col. Ali Alrabti devant un Mirage F1ED (crédit : Col. Ali Alrabti)
Je connais le colonel Alrabty étant en contact avec lui depuis quelques années. C’est un pilote très expérimentée comme me l’ont confirmé des pilotes français du ER 2/33 « Savoie » avec lesquels il a volé entre 2012 et 2014. En 2012, il a convoyé son Mirage F1 de Malte à Tripoli, puis a volé à plusieurs reprises en France en compagnie d’autres de ses collègues – avec instructeur - afin de garder ses aptitudes de vol impossible à réaliser en Libye à cette période. Peu de temps après son retour dans la région de Tripoli en avril/mai 2014, le General Haftar lançait l’opération « Dignité » contre les milices de l’Est tandis que l’opération « Aube de la Libye » était lancée par Tripoli en juillet. Le colonel Arabty aurait dû logiquement voler pour le GNC, mais tout comme en 2011, lui et ses collègues ont refusé de prendre les commandes de leurs Mirage pour bombarder des Libyens quels qu’ils soient !
Deux jours après cette défection qui a fait grand bruit, deux autres pilotes – les capitaines Abdessalam al-Attiyah et Abdali Ali Omar al-Qaddafi - se sont éjectés de leur Soukhoi Su-22 près d’Ajdabiya à 160 km au sud-ouest de Benghazi. Selon leurs témoignages, ils ont pris cette décision après avoir reçu l’ordre - eux aussi - de bombarder des manifestants dans la cité. Ils avaient également décollé de la base d’Okba Ben Nafi près de Tripoli. A la lecture de ces deux évènements, il apparait assez clairement que ordre a été donné à l’aviation de tirer sur les manifestants dès le 21 février 2011 et que certains aviateurs ont refusé d’exécuter cet ordre, mais ce n'est pas le cas de tous … A ce moment de la crise (23 février), le bilan était déjà de 300 à 400 morts selon la Fédération internationale des Ligues de droits de l'Homme (FIDH).

Un autre point évoqué par les auteurs est la prétendue présence d’une colonne de véhicules blindés se dirigeant vers Benghazi les 17/18 mars et pour laquelle un doute subsiste selon eux, se basant pour cela uniquement sur une interview de Rony Brauman – ancien président de MSF France. Le problème est que cette colonne – qui avait stoppé sa progression dès les premières frappes du 19 – a existé et a bien été détruite dans la nuit du 19 au 20 par des avions de l'USMC (AV-8B Harrier à priori). Les photos impressionnantes de ces véhicules calcinés (environ une trentaine, incluant des chars, MRLS, blindés, portes-chars) avaient été diffusées le lendemain.

BM-21 Grad de la colonne détruite après le déclenchement de l'Opération Harmattan (DR)

Char T-72 de la colonne détruite après le déclenchement de l'Opération Harmattan (DR)

Le postulat du « Grand mensonge » ne tient donc pas et on peut légitimement se poser des questions sur le sérieux de l’enquête menée par les auteurs tant ils ont omis – sciemment ou non – une partie des témoignages et faits. Plus embêtant, il semblerait qu'ils aient déjà établi la conclusion dès le départ (le mensonge d'état) et qu’ils n’aient enquêté que dans ce sens en ne sélectionnant que les témoignages et sources d’informations appuyant leurs postulat en balayant les thèses contradictoires. Si le dossier du financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy évoqué dans les autres pages a été traité de la même manière, on peut émettre des doutes quant à la crédibilité de cet ouvrage … Tout ceci ne remet bien évidemment pas en cause le fait que l'ancien Président français et son entourage ne sont pas très clairs dans cette affaire tout comme la stratégie de la France depuis quelques années, mais à un moment, il faudrait peut-être travailler un peu plus sérieusement et ne pas voir de complot partout ...


1 comment :

  1. Je ne vois pas bien au juste ce que ce billet est censé démentir.

    Son auteur semble d’abord mettre sur un même plan des ordres qui AURAIENT été donnés (par le régime Kadhafi) de bombarder depuis les airs la foule de manifestants pacifistes et l’existence même de bombardements dont beaucoup de monde, le 21 février 2011, ont affirmé qu’ils AVAIENT existé. Cela me paraît, intellectuellement, une démarche spécieuse.

    Or, comme nous le rappelons dans le livre «Avec les compliments du Guide» (Fayard), aucun bombardement de civils par l’aviation libyenne n’a eu lieu le 21 février 2011. Le secrétaire d’Etat à la Défense américain au moment des faits, Robert Gates, et le chef d’état major des armées US, Mike Mullen, l’ont eux-mêmes confirmé devant la représentation parlementaire de leur pays: ils n’ont aucune trace de ces bombardements, pourtant annoncés par Al-Jazeera et repris par de nombreux médias et chancelleries dans le monde. Tous ces éléments sont sourcés et documentés dans notre livre.

    Poursuivons.

    Si, comme le prétendent les pilotes qui se sont posés à Malte, il y a eu bien des ordres de bombarder des civils, pourquoi d’autres pilotes restés loyalistes au régime Kadhafi n’ont pas exécutés lesdits ordres le jour-même ou par la suite ? Il y a eu des frappes aériennes contre des dépôts de munitions, ça, oui. De fait, il y avait une guerre civile et, comme nous l’écrivons dans le livre, le tyran Kadhafi a réprimé dans le sang les mouvements insurgés.

    Néanmoins, la thèse de massacres de masse de populations civiles, voire même de génocide comme cela avait été dit à la tribune de l’ONU par un diplomate libyen entré en dissidence pour justifier une guerre totale, ne résiste pas à un examen scrupuleux des faits.

    De ce point de vue, il ne me paraît pas inutile de noter que Bernard-Henri Lévy lui-même, devenu une sorte de ministre des Affaires étrangères bis sur le dossier libyen, a reconnu lors d’un entretien avec nous : « D’accord, il n’y pas eu de massacres de populations civiles ».

    Cela ne fait évidemment pas de Kadhafi ni un démocrate ni une personnalité respectable, mais venir faire semblant de découvrir en mars 2011 que cet homme était un tyran, après lui avoir déroulé le tapis rouge en décembre 2007 comme aucune autre démocratie dans le monde (avec, au passage, le désir de lui vendre des armes…), cela relève d’une vaste blague. Pour rester poli.

    Quant à la colonne de chars faisant marche vers Benghazi, tous les arguments, dans un sens comme dans l’autre, figurent dans le livre mis en cause par l’auteur du blog — celui-ci oublie malencontreusement d’en faire part ici…

    Just facts.

    Fabrice Arfi

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