La dernière victoire aérienne française remonte au 24 avril 1945 lorsque le S/Lt Suisse du GC 1/3 abat un Messerchmitt Bf 109 alors qu’il pilote un Spitfire Mk IX. Depuis cette date, aucune revendication sérieuse n'a pu être mise en évidence. Les conflits ou accrochages au cours desquels l'aviation française (Armée de l'Air, Marine) est intervenue sont pourtant nombreux : Indochine, Suez, Algérie, Tchad, Irak, Bosnie, ... et j'en oublie ! Jusqu'à maintenant, seules des rumeurs circulaient ici ou là sur de possibles avions abattus au cours d'accrochages lors de la campagne de Suez, la guerre d'Algérie (avions de contrebandes) ou les opération au Tchad dans les années 1980. Mais depuis quelques années, une de ces rumeurs semblent être fondée.
La rumeur
La première fois que j'ai entendu parler de cette "victoire", ce fut sur le site de J.P. Gleize et sur celui de J.J. Safarik. qui eux-mêmes font référence au livre de Denis Albin : Historique de l'Escadron de Chasse 1/3 "Navarre" de 1915 a 2000, Maillard, 2000. Le 1er novembre 1956, le capitaine André Pichoff alors pilote de F-84F à l'EC 1/3 "Navarre" aurait forcé à atterrir un Gloster Meteor égyptien au-dessus de la base d'Abu Sueir. Rien de transcendant, me direz-vous !
Republic F-84F-51-GK Thunderstreak, 3-HK, S. No. 52-9030, EC 1/3 'Navarre', Armée de l'Air, Akrotiri, October 1956 (copyright : Jacques Davy)
La seconde fois, ce fut lors de la lecture d'un article extrait d'une revue de l'AEA (Association des Anciens Elèves de l'Ecole de l'Air), "Le Piège" n° 175 à propos de la campagne de Suez, le S/Lt Borel alors au 1/3 précisait :
« Akrotiri 30 octobre (aux aurores) : Décollage de l’ensemble du dispositif aérien allié. La suite est bien connue. Pour ce qui concerne le 1/3, le capitaine Pichoff peut s’enorgueillir d’avoir vu un Mig-15 égyptien presque en l’air (en finale à l’atterrissage), ce fut le seul durant toutes les hostilités, tous les autres ont été détruits au sol (une exception pour l’Ilyouchine 28 du général Salini).
Il semblait donc que cette rumeur était infondée puisque l'avion égyptien (Meteor ou Mig-15) a atterri sur sa base.
De la rumeur à la victoire
La rumeur quand à cette "victoire" a commencé à devenir réalité lorsqu'au SHAA (Service Historique de l'Armée de l'Air) un inventaire des témoignages oraux a été mis à disposition. Dans ce document, il est précisé que lors d'une interview du Général Claude Payet (qui a participé à l'opération de Suez en tant que Capitaine) le 24 octobre 1985, celui-ci a précisé que "Pichoff avait descendu un appareil".
Courant janvier 2014, j'ai pu discuter avec Jean Houben, ancien pilote de l'Armée de l'Air et webmaster du site http://aviateurs.e-monsite.com. Il a bien connu Pichoff car sortant de l'école de chasse de Cazaux, ils ont été affecté tous les deux au Neu-Neu (GC 2/6 "Normandie-Niemnen") à l'automne 1949 et ont rejoint Saïgon à cette date. Après avoir quitté l'Indochine dans le courant de l’été 50, Jean Houben suit le GC 2/6 à Oran et André Pichoff est affecté dans une autre unité. Jean Houben apprit par la suite qu'André Pichoff avait "descendu un Meteor NF XIV égyptien le 1er novembre 1956 au-dessus d'Abu Suer" (NDL : il s'agit certainement d'un NF XIII car les égyptiens n'avaient pas de NF XIV). Quelques années avant sa disparition en 2009, Pichoff précisa que l’avion était bien en vol, soit en tour de piste soit en finale.
Pourquoi cette victoire aérienne, celle-ci n'est toujours pas officialisée ? Surprenant et déroutant à la fois !
EDIT 2 mars 2024 :
En avril 1962, l'ex-général Edmond Jouhaud était jugé pour son activité déployée au sein de l'O.A.S. depuis l'échec du putsch du 22 avril 1961. A cette occasion, le commandant André Pichoff avait été entendu par le juge et confronté à Jouhaud au sujet de propos échangés avec lui à Oran, lors d'une entrevue qui s'était déroulée dans la clandestinité et au cours de laquelle il avait exprimé son indignation à la suite des attentats commis contre des officiers. Dans le cadre de ce procès, Pichoff avait déclaré qu'il partageait les idées de Jouhaud. Peu de temps après, il donnait sa démission de l'Armée de l'Air. Pichoff avait dont clairement des liens avec l'O.A.S. L'Armée de l'Air ne peut donc rendre hommage a un pilote qui l'a déshonnoré par sa proximité avec une organisation terroriste responsables d'attentats contre des personnalités politiques et administratives, des intellectuels, des organes de presse, ainsi que policiers, enseignants et fonctionnaires de l'administration fiscale.
Références
- La campagne d'Egypte Service Historique de l'Armée de l'Air - HISTOIRE ORALE page 68
Anecdote de Jean Houen sur son site (bas de page)
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